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Entretien avec Maître Safiatou Bassabi Morou Avocate à la Cour : « Il n’y a que 19 femmes sur 146 avocats inscrits au grand tableau  » (C’est peu pour les femmes qui veulent défendre leurs droits)
lundi 31 mai 2010, par
Jeune et engagée, Maître Safiatou B. Morou est l’une des 19 femmes avocates actives au Bénin. Entrée dans cette fonction depuis 2002, l’ancienne fille élevée du Général Kérékou a tiré cette vocation de son envie éprouvée depuis l’enfance de lutter contre l’injustice.
Elle s’engage à défendre tout individu se trouvant dans le besoin de se faire justice, pourvu que l’affaire en question ne porte pas atteinte à ses convictions de femme respectueuse de la morale, et donc n’ait pas rapport avec les crimes de sang. Jetant un regard attentif sur le tableau des avocats du Bénin, Maître Safiatou Bassabi s’aperçoit que les femmes sont sous représentées. Elle s’en indigne et appelle à la révolution sur ce plan.
Dites-nous Maître, qu’est-ce qui à motivé votre choix de la fonction d’avocat ?
La première raison qui a motivé mon choix est le fait que depuis mon enfance, j’avais cette tendance à ne pas accepter l’injustice. Je ne loupais aucune occasion de combattre l’injustice et cela m’a alors prédestinée à ce choix. Plus tard, ce sacerdoce a commencé à s’affirmer peu à peu lorsque, à mon année de licence à l’université, j’ai été sélectionnée pour participer à l’art oratoire organisé par l’OIT en hommage à M. Rousseau.
Nous avons fait des concours de plaidoirie où on devrait défendre une cause. Soit on est pour le plaignant ou pour la partie de l’employeur. Un exercice qui a contribué à ce que la vocation se confirme davantage. Après ma maîtrise en droit en 1999, je me suis inscrite au CAPA (Certificat d’ Aptitude à la Profession d’Avocat). Tout s’est si bien passé et me voilà avocate depuis 2002. Je rends hommage à feu maître Sévérin Alotoloukou qui a été mon maître de stage et qui m’a reçue dans son cabinet après mon admission au stage du barreau du Bénin.
Vous êtes entrée dans cette profession pour, disons-le, faire reculer l’injustice. Avez –vous aujourd’hui le sentiment que l’injustice a diminué au Bénin alors que beaucoup reprochent à la justice sa lenteur ?
Dans la société, on peut encore relever des cas d’injustice. Concevez avec moi que je ne peux pas dire que dans toute la société, que l’injustice est la règle. Pour ce qui me concerne, je m’emploie à porter assistance aux personnes sans défense ou sans grande capacité de défense et qui sont connues de moi, sans distinction aucune. Au niveau de la justice, on ne peut pas assimiler la lenteur de la justice à de l’injustice.
La justice, est-ce qu’elle est lente ? Si elle est lente, je peux dire que c’est pour donner toutes les chances aux citoyens d’être bien jugés. Aux justiciables de s’assurer que toutes les précautions, toutes les conditions ont été réunies et que la sentence ou la décision rendue dans leur cause est la décision idoine.
Vous venez d’affirmer que vous vous offrez d’office vos services aux personnes sans défense. Les services d’un avocat sont payés et on les estime très onéreux, et donc pas à la portée de tous. Qu’en dites-vous ?
Je vous remercie pour cette question. Tout individu a la possibilité de se faire assister par un avocat. Il suffit de peu pour que la personne ait recours à un avocat. Peut-être que les gens ne savent pas à quelle source, à quelle structure s’adresser. Je profite de l’occasion pour informer qu’il existe au Bénin l’ordre des avocats, dont les bureaux sont actuellement à la cour d’appel de Cotonou située à l’immeuble Nasuba.
Toute personne qui n’a pas connaissance ou le contact d’un avocat peut se rapprocher de l’ordre des avocats pour poser son problème. Une secrétaire permanente est là et pourra lui indiquer, le cas échéant, l’orienter vers le tableau des avocats et à lui de faire le choix de son avocat.
Oui maître, mais cela a un coà »t peut-être pas à la portée du Béninois moyen. L’avocat n’est-il pas payer pour service rendu ?
Par principe oui. L’avocat est payé pour le service rendu. Mais il existe des cas où les gens sont dans des conditions de pauvreté. Cela n’empêche pas l’avocat de les écouter. L’avocat prend toutes les causes, surtout si elles ne sont pas à l’encontre de ses propres convictions : convictions religieuses, principe de vie propre à cet avocat. Donc toute personne, quels que soient son pouvoir économique, sa catégorie sociale peut et doit même se faire assister d’un avocat dès qu’il en sent le besoin.
Vous est-il déjà arrivé , compte tenu de vos convictions, de refuser des dossiers, des affaires qu’on vous a amenés ?
Moi particulièrement, je me refuse de prendre sciemment des crimes de sang. Les dossiers dans lesquels il y a crimes de sang me répugnent. Mais, il m’est arrivé d’avoir affaire avec des dossiers de crimes de sang, de mort d’hommes et cela du fait de la particularité de la commission d’office au moment des assises. Dans ces cas, poules dossiers sans avocat, la cour commet l’avocat et ce dernier n’a pas le choix. Des dossiers du genre, j’en ai connu assez qui ont rapport au crime de sang. Je m’en suis souvent bien sortie.
En tant que femme, notez- vous une différence entre vous et un homme avocat dans l’exercice de la fonction d’avocat ?
Non. Il n’y a aucune différence. D’autant plus que ce sont les mêmes textes de loi, les mêmes règles qui s’appliquent à la fonction, quel que soit le sexe de celui qui l’exerce.
Combien êtes-vous, femmes avocates au barreau du Bénin ?
On compte à ce jour 19 femmes avocates inscrites au grand tableau. Et tout le monde n’est pas actif. 19 femmes sur 146 avocats, c’est peu. Trop peu pour des femmes qui veulent défendre leurs droits.
Que faire ?
Les jeunes filles doivent beaucoup s’engager dans les études universitaires en droit et pouvoir passer leur Capa. L’engagement de la fille, donc de la femme appelle assez de sacrifices pour y arriver.
Quel dossier avez-vous, au cours de votre carrière défendu et qui vous a procuré une grande satisfaction ?
Elles sont nombreuses, les affaires avec satisfaction. Celle qui me vient à l’esprit, c’est mon dossier d’assises de 2010 devant la cour d’appel d’Abomey. Des parents se sont retrouvés en prison, laissant toute une famille, car poursuivis pour assassinat de leur gendre. C’était une bagarre familiale qui a abouti à un drame. J’ai su démontrer qu’il n’y avait pas d’assassinat et la qualification est passée d’assassinat en coups mortels. Ces accusés s’en sont sortis avec deux ans de prison et ont retrouvé leur liberté.
Une affaire que vous n’avez pas pu juger avec succès
Là aussi, il y a plusieurs dossiers et causes. Généralement il y a la vision de l’avocat et celle du juge mais on a la possibilité d’interjeter appel. Dans toutes ces affaires où j’ai été déçue en première instance, j’ai pu faire appel devant la cour d’appel et le droit a été rectifié et corrigé.
Je vois en vous une certaine capacité, une certaine affirmation de vous-même. Auriez vous hérité ces qualités de l’ex- président de la République, Mathieu Kérékou qui, je l’ai appris, a été votre tuteur ?
(Large sourire). Le général Kérékou, je dois l’appeler grand père. Il nous a éduqués en notre enfance. Si vous voyez en moi un petit punch de militaire, cela trouve son explication là .
Quel regard portez- vous sur la lutte que mènent vos sœurs béninoises pour la promotion de la femme ?
Par principe, ce sont des mouvements à encourager. Pour ma part, je suis femme mais pas féministe. Je pense que l’essentiel n’est pas de revendiquer nos droits, mais de les arracher. Et la meilleure manière est d’accéder au même niveau d’instruction, de connaissance que les hommes. Cela demande beaucoup de sacrifices, c’est vrai. Mais le succès est au bou des sacrifices.
Qu’est-ce que vous aimez le plus et que détestez-vous le plus ?
J’aime la sincérité et le respect de la parole donnée. En contrario, je déteste le mensonge.
Un mot sur l’actualité politique au Bénin ?
Pour le moment, je préfère me réserver sur cette question. On pourra en parler à une autre occasion.
Propos recueillis par Honorine H. ATTIKPA