Accueil > HEBDOMADAIRE > Société > Entretien avec Me Véronique Akankossi Déguénon, notaire à Cotonou sur le (...)
Entretien avec Me Véronique Akankossi Déguénon, notaire à Cotonou sur le testament : « Rédiger son testament n’équivaut pas à signer son arrêt de mort  »
lundi 29 mars 2010, par
Me Véronique Akankossi Déguénon est notaire de carrière. C’est un métier qu’elle exerce avec passion, dévouement et rigueur depuis 1992.
Professeur à la Faculté des Droits de l’Université d’Abomey-Calavi depuis 1983, elle a, à travers cet entretien sur le testament, amplement parlé de l’utilité de cet acte dans la vie d’une personne, des modalités juridiques de sa réalisation et de sa mise en œuvre, des rapports entre notaires et testateurs et bien évidemment de ses expériences professionnelles en la matière. Elle n’a pas manqué de donner quelques conseils aux personnes qui hésitent encore à faire leur testament afin de définir les modalités de leur succession, après décès.
Qu’est-ce que le testament  ?
Merci beaucoup à «  Dignité Féminine Hebdo » de m’amener sur ce terrain de succession. Le testament est une modalité de régler sa propre succession. C’est un acte de dernière volonté, comme nous l’appelons dans notre jargon. La loi l’a précisément défini comme étant un acte par lequel la personne dispose de ses biens pour le temps où elle ne sera plus là .
Un acte d’une grande utilité alors  ?
Si, le testament est d’une grande utilité. Partout dans le monde et particulièrement au Bénin et dans les autres contrées africaines, la succession a toujours été source de difficultés majeures dans les familles. C’est pourquoi, il faut tout faire pour organiser soi-même sa succession afin d’éviter les spectacles désolants après sa mort. L’utilité du testament, c’est donc d’organiser en quelque sorte la succession d’une personne décédée de façon à ce que tous les héritiers puissent trouver leur compte, que personne ne soit lésé, que la loi soit respectée et qu’enfin les dernières volontés du défunt soient observées.
Entre les volontés d’un défunt et les dispositions du Code des personnes et de la famille, lesquelles faut-il prioriser  ?
Question intéressante  ! Nous avons la liberté de nous exprimer, de laisser nos dernières volontés quant à la répartition de nos biens. Mais c’est une liberté encadrée dans un contexte juridique bien précis. Le testament n’est pas un acte banal que l’on peut faire sans s’informer. Il y a bien des balises. Il faut nécessairement se rapprocher des spécialistes de la question que sont notamment les notaires pour recevoir les conseils appropriés.
Dans le cas contraire, vous allez faire un testament qui sera remis en cause demain. Si votre testament n’est pas conforme à la loi, vous allez passer à côté de la plaque. Vous avez évoqué à juste titre la possibilité de piétiner des dispositions du Code des personnes et de la famille. En principe, il y a des dispositions qui s’imposent à tout testateur. Je vous donne un exemple banal. Vous avez deux ou plusieurs enfants. Pour aucune raison, vous ne pouvez léguer vos biens à votre cuisinier, à votre domestique ou à votre maîtresse, même si c’est un seul enfant que vous avez. La loi vous laisse la liberté de donner à qui vous voulez.
Mais cette liberté doit respecter un cadre légal impérieux, dont l’un des éléments est ce que nous appelons la réserve héréditaire. Le droit à la réserve héréditaire est un droit que le législateur concède à certains héritiers dont la situation a retenu particulièrement son attention. Ces héritiers sont au nombre de trois  : les enfants, le conjoint et les père et mère. Lorsque vous êtes dans une situation où après vous il y aura des enfants, votre conjoint survivant ou vos géniteurs, vous ne pouvez jamais léguer à un quidam quelconque, à un ami, à quelqu’un qui ne figure pas dans l’une de ces trois catégories tous vos biens.
Vous êtes obligé de laisser à ceux-là le minimum qu’on appelle la réserve héréditaire. Vous avez inscrit par exemple 100 F dans votre testament et vous décidez de tout donner à votre domestique parce qu’elle vous a bien servi. Ce n’est pas faisable. La réserve qui est justement les 2/3 des 100 F doit aller obligatoirement à vos enfants.
C’est les 33% qui font le 1/3 que vous pouvez donner à votre domestique, à tous ceux que vous voulez. Là -dessus, la loi ne s’embarrasse pas. Toutefois, dans la limite de la réserve, vos enfants, votre conjoint et vos géniteurs (père et mère s’ils sont vivants) sont privilégiés. Voilà un exemple pour vous montrer qu’on ne fait pas ce qu’on veut parce qu’on veut faire un testament. Le législateur n’est pas là pour créer des troubles à l’ordre public.
Quand nous faisons des enfants, la loi nous impose de les instruire, de les entretenir convenablement. Après, nous avons l’obligation de leur laisser des biens pour qu’ils s’installent dans la vie. Tant que vous avez des enfants, vous ne pouvez pas dire à des personnes étrangères à votre famille de tout prendre.
Est-ce que les dernières volontés enregistrées sur des supports audiovisuels ont valeur juridique de testament ?
C’est l’ignorance qui est à la base de ces pratiques. Il n’y a pas de testament sans écrit. Le testament, quel qu’il soit, doit avoir un support écrit. L’acte verbal n’existe pas. Pour laisser ses dernières volontés, il faut absolument rédiger un document. La loi vous laisse deux formes fondamentales  : vous pouvez l’écrire vous-même tout comme vous pouvez aller chez le notaire qui l’écrira en vos lieu et place sous la dictée de vos volontés. Même si vous réunissez tous vos enfants pour leur dire qu’à votre mort, les choses vont se passer de telle ou telle manière, celui qui ne voudra pas aller dans ce sens sera protégé par la loi. Parce que justement le défunt n’a pas laissé de support écrit.
Quelles sont les principales dispositions à prendre pour rédiger son testament  ?
En droit, le testament est un acte solennel, parce que le législateur a règlementé sa forme. Il y a une forme qu’il faut donner à l’acte qui porte un testament. Je le disais tantôt, il faut qu’il soit écrit et surtout signé pour éviter qu’on rattache un document quelconque aux volontés du testateur. Mais l’écrit à lui seul ne suffit pas.
Il faut nécessairement que le document soit daté, car vous pouvez être amené à refaire votre testament 10 mille fois avant le jour J. J’en profite d’ailleurs pour fustiger cette mentalité que nous véhiculons dans notre pays où on pense que dès qu’on a signé son testament, c’est son arrêt de mort qu’on a ainsi signé. Ça n’a aucun sens. Dans le Code civil qui avait cours jusqu’à l’avènement du Code des personnes et de la famille, sur cette question précise, le testament pouvait être déjà fait par l’individu dès 16 ans alors qu’il lui faut avoir 21 ans avant de participer par exemple à un acte de vente. C’est pour montrer l’importance de l’acte que la loi estime que l’enfant qui a 16 ans peut déjà organiser et faire son testament.
Qui est habilité à évaluer les biens du défunt pour que le partage soit réellement équilibré  ?
Le jour où vous faites votre testament, vous n’avez pas forcément une idée précise de ce que vaut votre patrimoine. Et c’est justement la raison pour laquelle il faut solliciter l’éclairage d’un notaire. Mais on peut faire un testament tout en restant dans les généralités. Vous pouvez dire que vos biens reviennent à votre époux, votre épouse ou à vos enfants. Là , c’est clair. On sait comment faire le partage sans être obligé de dire tel bien revient à telle ou telle autre personne.
C’est le jour où la succession sera ouverte, après le décès, qu’on évalue les biens, qu’on voit si chacun est dans ses limites. Si des gens ont pris plus que ce qui devrait leur revenir, ils doivent faire des compensations en espèces. Celui qui a reçu plus doit pouvoir donner de l’argent en espèces à celui qui a reçu moins. Si vous avez un immeuble qui vaut 5 millions qui revient à un enfant, un autre qui vaut 8 millions à un autre, il y a déséquilibre à ce niveau. Celui qui a reçu un immeuble d’une valeur de 8 millions doit verser 1,5 million à l’autre de sorte que chacun aura reçu 6,5 millions. Et ce travail revient au notaire.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette peur que les Béninois ont de faire leur testament  ?
Personnellement, je n’arrive pas à l’expliquer. Je constate tout simplement que nous avons tous tendance à repousser le plus loin que possible la mort. On se dit qu’on a tout le temps de le faire. Dans certains foyers, ce n’est même pas un sujet d’actualité. Or, la mort est la seule chose dont nous sommes tous sà »rs. Au lieu de nous préparer, on remet tout à demain. Dans le contexte africain, le testament rend énormément de services. Vous êtes témoin des brimades dont les femmes sont surtout victimes après le décès de leur époux. Or, il suffit que le père de famille fasse son testament selon la loi en vigueur pour éviter ces problèmes.
Parmi vos clients, il y a-t-il assez de femmes  ?
A vrai dire, je n’ai pas fait une étude statistique. Toutefois, sans entrer dans les détails, je dirai que les femmes n’ont pas encore compris l’utilité de cet acte. Les gens pensent que c’est lorsqu’on a beaucoup de biens qu’il faut faire son testament. Dans notre contexte, les femmes n’ayant pas beaucoup de biens ne le font pas. De plus, ceux qui ont besoin de mettre de l’ordre dans leurs affaires, c’est bien les hommes. Ce n’est pas la femme qui a 10 mille maris. C’est le contraire. C’est donc les hommes qui ont plus besoin de réglementer leur vie. Les femmes font bien sà »r leur testament, mais elles ne sont pas nombreuses à le faire.
Un pauvre peut lui aussi rédiger son testament, que mettra-t-il là -dedans lui qui ne se fait aucun doute de la gestion des biens qu’il n’a d’ailleurs pas  ?
Le testament n’est pas un acte destiné aux riches seuls. Tout le monde peut le faire parce qu’il s’agit de prendre des dispositions pour régler des questions qui vont surgir après votre décès. Vous donnez donc des indications pour que l’on ne se perde pas dans des considérations inutiles. C’est vrai que dans la pratique, quand on parle du testament, on pense immédiatement aux biens. On peut avoir de biens comme on peut ne pas en avoir et se préoccuper de l’organisation de ses obsèques. Il m’est arrivé plusieurs fois de recevoir des testaments dans lesquels les testateurs ont dit eux-mêmes comment il faut les enterrer. Certains demandent à être enterrés dans leur case ou dans leur village. Il y en a qui refusent d’être inhumés à Cotonou.
Chacun est libre d’énumérer ses dernières volontés, pourvu qu’elles soient conformes à la loi. Récemment, j’ai reçu des testaments dans lesquels le faire-part qui doit être distribué pour organiser les obsèques du testateur m’a été confié, et je l’ai annexé au document. La personne a rédigé elle-même les annonces nécrologiques et proposé les photos à utiliser. Il a tout organisé avant son décès. J’ai aussi reçu des testaments dans lesquels il a été dit que l’argent qui doit servir à acheter la tombe se trouve déjà dans tel compte à la banque. C’est dire que chacun sait ce qui le préoccupe. Si vous ne voulez pas que la famille s’entredéchire sur des questions qui vous préoccupent, vous en faites cas dans votre testament.
Quelles sont les responsabilités du notaire vis-à -vis de son client qui le sollicite pour son testament  ?
Dans ce domaine comme dans le domaine de tout acte que le notaire est appelé à prendre, c’est une responsabilité très lourde. Le travail du notaire ne se limite pas seulement à la rédaction du texte du testament. Il doit aussi et surtout assister et conseiller son client. Il m’est arrivé des fois de rejeter des testaments parce que les exigences du testateur sont totalement contraires à la loi. La responsabilité du notaire est donc importante, parce que si plus tard le document est annulé, ceux qui subiront les préjudices sont en droit de lui réclamer dommages et intérêts.
Quels conseils avez-vous à donner à ceux qui sont réticents pour diverses raisons à écrire ou à faire rédiger leur testament  ?
Souvent, les gens croient qu’il faut une fortune avant de rédiger son testament. Le service que ce document rend est immense. La paix dans la famille passe par la rédaction du testament. Lorsque vous le faites, vous réglez certains problèmes, vous mettez vos enfants, votre conjoint ou vos géniteurs à l’abri de certaines difficultés. Nos tribunaux sont débordés par les problèmes successoraux. Or, avec le testament, on peut les éviter. Il y aura moins de travail pour nos juges qui pourront se consacrer à d’autres tâches. Rédiger son testament, c’est préserver la cohésion sociale. J’invite donc tout le monde à le faire. Nous avons la possibilité de le faire et de le refaire mille fois.
De loin, on a l’impression que les services des notaires coà »tent cher. Dites-nous, combien coà »te la rédaction d’un testament  ?
Les testaments sont les actes pour les lesquels le notaire s’échine le plus pour peu. C’est ce que nous appelons les actes à tarif fixe. Ce n’est pas proportionnel. Dans nos tarifs, les honoraires du notaire sont de 25.000 F Cfa auxquels s’ajoutent la Tva, les frais de timbres… Ce n’est pas grand-chose si ça se passe suivant les normes règlementaires.
Est-ce que l’analphabète peut se faire accompagner pour rédiger son testament  ? N’y a-t-il pas de crise de confiance  ?
Vous avez parfaitement raison. Mais je vous assure qu’il n’y a plus de secret qu’un notaire. La loi lui impose la confidentialité totale par rapport à tout ce que vous devez faire chez lui. Vous venez me voir, personne ne saura de quoi nous avons discuté. J’ai l’obligation de garder le secret absolu de ce que nous avons fait ensemble. Si vous voulez faire le testament devant un notaire, vous devez être accompagné de deux témoins choisis en dehors de votre famille. Si la fuite ne part pas de ces deux là , je peux vous assurer que personne ne le saura jusqu’au jour J. C’est pourquoi, il faut choisir des témoins sérieux qui savent garder les secrets.
Est-ce que le notaire à la possibilité de vérifier les informations du testateur  ?
C’est le problème de l’effet du testament que vous posez. Le testament ne produit d’effet qu’à partir du jour du décès. C’est un acte révocable. Le notaire fait le constat après le décès mais n’a pas la possibilité de contrôler l’existence ou non des biens du testateur.
Dans son testament, le Cardinal Bernardin Gantin a raconté un peu sa vie. Est-ce à dire que dans un testament on peut tout dire, voire présenter ses excuses à des gens qu’on a offensés  ?
Tout à fait. Le testament est un moyen qui vous permet de vous réconcilier avec des gens avec qui vous avez eu des relations tendues. Et comme il faut mourir un jour dans la paix, on peut demander pardon dans son testament. C’est également l’occasion pour un homme de faire des aveux à sa femme. S’il a des enfants dehors par exemple qu’il n’a pas pu faire connaître, il l’informe et lui présente ses excuses les plus sincères.
Quel appel avez-vous à lancer aux populations  ?
J’invite tous les Béninois notamment les femmes à réaliser leur testament. Ce n’est pas seulement dans les familles polygamiques que les problèmes de succession se posent. Il y a parfois des problèmes entre enfants d’une même mère. Autant que faire se peut, il faut faire des répartitions équilibrées. Que les femmes se mobilisent pour faire leur testament. Nous sommes là pour les conseiller.
Propos recueillis par Honorine H. ATTIKPA