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Le textile béninois dans l’impasse : Vers la disparition totale du tissu béninois au profit du tissu chinois

dimanche 21 mars 2010, par Dignité Féminine

De quoi le Bénin peut-il se prévaloir pour prétendre àl’émergence, un concept en vogue depuis plus de 3 ans ? Du coton dont la production est en chute libre ? Assurément non. Pas plus que de son produit essentiel, le textile béninois, dont les années de gloire ne sont actuellement qu’un vieux souvenir pour les Béninois.

Il est en train d’être balayé du marché local par un tissu chinois issu d’une industrie performante et d’une technologie puissante. Même pour célébrer leur fête du 08 mars dernier, les femmes se sont tournées vers l’extérieur pour leur tissu uniforme.

Du coup, toutes les usines qui intervenaient dans la fabrication du tissu local ne servent plus aujourd’hui àgrand-chose. Et le manque àgagner pour l’économie nationale est énorme avec ses impacts sociaux. Pourtant, un artisan béninois a obtenu un brevet d’invention pour son tissu ‘’made in Bénin’’ et réalise des prouesses insoupçonnées dans la conception des tenues ‘’100% locales’’. Mais une seule hirondelle ne fait pas le printemps. Alors, ne peut-on pas s’appuyer autrement sur la Chine pour relever l’industrie du textile béninois plutôt que de croiser les bras et lui concéder totalement le marché ?

A quand l’Afrique ? Se demandait l’essayiste burkinabé, Joseph Ki-Zerbo, dans son ouvrage portant le même titre. Mais avant d’en arriver là, chaque pays africain doit ramener cette question àlui. Ainsi, on peut se demander : àquand le Bénin ?

Le pouvoir du changement àl’œuvre depuis plus de 3 ans dit croire en l’émergence. Noble ambition pouvant faire du Bénin une nation véritablement en voie du développement. Mais le chemin semble trop long et parsemé d’embà»ches au point qu’on en vient àbrà»ler des étapes sans pour autant avancer d’un pouce.

S’il est une évidence que produire ce que l’on consomme est un préalable au développement, le Bénin demeure encore loin de se conformer àcette règle. L’opérateur économique Valentin Agon, àtravers son projet ‘’Bénin industriel 2050’’, ne s’évertue que trop àle démontrer.

Dans le domaine du textile comme dans presque tous les autres, on continue de dépendre de l’extérieur. Ce qui n’arrange que les pays développés ou les grandes puissances industrielles comme la Chine.

Le règne sans partage de la Chine sur le marché béninois du textile

Au Bénin, comme dans le reste de l’Afrique subsaharienne, les produits chinois ont trouvé un espace idéal pour s’écouler facilement et abondamment. Pour ce qui concerne le textile, les consommateurs béninois ne respirent actuellement que par la Chine.

Contrairement àl’industrie locale de textile aux moyens très limités avec une production àla limite insignifiante, la Chine est venue révolutionner les choses pour satisfaire une demande sans cesse croissante. Du coup, les règles du jeu qui imposaient àla Société béninoise du textile (Sobétex) le respect àl’égard des clients de leur droit sur la paternité de leurs motifs de tissus sont violées. Ainsi, les commerçants assistent, impuissants, àla standardisation àoutrance de leurs commandes de la part de leurs prestataires de service chinois.

Entre-temps, quand les succursales chinoises ne sont pas encore installées au Bénin et que les commerçants de tissus étaient obligés de se rendre en Chine pour faire leurs commandes, ceux-ci racontent qu’avant de revenir au pays avec leurs produits, la Chine en envoyait déjàdix fois plus avec une simple modification de couleur pour tromper leur vigilance.

Qu’àcela ne tienne. Les commerçants acceptent le compromis puisque après tout, les marchandises se vendent sans grande difficulté, d’après certains. Car, àcomparer le produit chinois avec celui local qui coà»te deux fois plus, le choix des consommateurs est vite fait. Et ça coule comme ça circule sur le marché national.

Du coup, le tissu de la Sobétex ne doit pour le moment, sa survie qu’àquelques conservateurs qui, au nom de la qualité, ferment les yeux sur le coà»t des commandes. Ceci permet sans doute àla société de réchauffer un tant soit peu ses machines plongées dans une torpeur forcée.

La Sobétex en faillite et des milliers de jeunes en chômage

Un tour fortuit dans l’enceinte de la Société béninoise du textile et on s’aperçoit qu’elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Maison àla limite broussailleuse ; quelques agents qui s’ennuient presque de leur désoeuvrement ; deux bâtiments peu fréquentés ; et plus rien d’autre. Les agents maintenus dans la société ne sont làque pour entretenir les machines qui ne servent plus àgrand-chose. Ils témoignent que la société, devenue infonctionnelle, a dà» procéder àun licenciement massif de ses agents. Et àceux-là, s’ajoutent tous les jeunes qui collaboraient de façon ponctuelle avec la société pour de petits services.

De l’avis des uns et des autres, la société n’a pas suffisamment de moyens et d’équipements pour affronter la concurrence déloyale de la Chine. De là, les commandes de tissus se font rares. Et les différents directeurs qui se sont succédés àla tête de l’administration de l’entreprise auraient tout tenté pour redonner vie àses affaires, mais en vain. Le coup de main salvateur de l’Etat se ferait toujours désirer.

Mais « pourquoi ne pas expérimenter un partenariat avec la Chine - puisqu’elle est devenue incontournable sur le marché – quitte àlui céder une partie de l’entreprise  », se demande un responsable de l’industrie sous anonymat. L’essentiel serait que cette société, qui fait partie des premières après l’indépendance du Bénin, retrouve ses lettres de noblesse pour récupérer quelques-uns de ses agents livrés àeux-mêmes depuis des années.

D’après des confidences, plusieurs propositions auraient été faites au gouvernement du président Boni Yayi pour éviter le pire àl’entreprise. Mais tout cela demeurerait sans suite. Ainsi, l’actuel directeur général, Emile Paraïso, ne saurait plus àquel saint se vouer.

Mais pendant que la Sobétex se retrouve face àdes horizons fermés préjudiciables au tissu béninois, un particulier du nom de Jean-Baptiste Hounyovi travaille inlassablement àl’émergence d’un autre tissu accrédité par des institutions internationales. Ce tissu aura-t-il meilleur sort ?

Un autre tissu sur les cendres de celui de la Sobétex

Depuis 2001, l’artisan Jean-Baptiste Hounyovi a obtenu le brevet d’invention pour un tissu qu’il a conçu lui-même en s’inspirant de la technique de tissage utilisée par les oiseaux pour construire leurs nids. Il affirme qu’il peut se prévaloir jusqu’ànouvel ordre d’être le seul couturier au monde àtravailler sur son propre tissu. Autrement dit, il ne va acheter nulle part ses tissus pour coudre une chemise ou un pantalon. Ainsi, de la matière première àla matière transformée qu’est l’habit, la seule chose qu’achète Jean-Baptiste Hounyovi n’est que le coton.

Et effectivement on ne retrouve, dans son atelier et son magasin àCadjèhoun, que des produits portant totalement ses griffes.

Chaussures, chemises, pantalons, cravates, sacs et autres rayonnent dans un tissu unique en son genre et commercialisé nulle part.

Mais pourquoi une telle merveille demeure-t-elle inconnue du grand public ? Voici ce que répond l’intéressé :
« Le coà»t de mes produits rebute les gens. Mais cela n’est du qu’au fait qu’il s’agit d’un produit purement artisanal qui demande assez d’investissements tant matériels que physiques. C’est pourquoi je n’habille qu’une certaine classe d’hommes ayant les moyens nécessaires. C’est aussi ce pourquoi je ne compte pas sur le marché national. Ce sont de grandes personnalités qui me sollicitent de l’étranger. Je n’ai donc pas l’ambition de conquérir le marché national car il me semble que je suis en avance sur notre époque. J’ai déjàcomptabilisé plus de 20 ans dans le métier ; et je sais de quoi je parle. Le président Félix Houphouë t Boigny a vainement cherché en son temps un artiste comme moi qui pourrait l’habiller dans son pays.

Par ailleurs, si je ne fais nullement de publicité autour de mes produits, c’est parce que je ne suis même pas en mesure de satisfaire la demande quand elle se ferait sentir. Et je ne pourrais commercialiser mon tissu car n’importe quel couturier ne pourrait s’en servir. C’est dire que la vulgarisation de mon tissu ne saurait se faire sans le soutien de l’Etat. Mais je n’espère rien dans ce sens. Car, le secteur du textile est délaissé alors qu’on ne peut s’en passer.

Par exemple, se vêtir ne fait-il pas partie des cinq besoins fondamentaux de l’homme ? Et que fait véritablement l’Etat pour assurer la formation des artisans couturiers ? Pourquoi ne pourrait-on pas intégrer la couture aux branches scolaires ? Si quelque chose du genre existait, on n’en serait pas lààcompter toujours sur l’extérieur pour s’habiller. On aime les belles chemises de marque italienne et autres qui nous reviennent extrêmement cher alors que nous pourrions obtenir tout cela sur place àmoindre coà»t.

Il y a quelques années, un commerçant m’apportait des habits issus de la friperie auxquels je faisais des retouches pour inscrire dessus « made in Italie, France,..  ». Et ce sont ces vêtements qu’il faisait exposer dans la boutique ‘’prêt-à-porter’’ d’un Blanc pour les revendre dix fois plus cher que leur prix initial. Il suffit donc qu’on voit un produit portant une marque étrangère et on le surestime en qualité. Le paradoxe est que tout le monde, àpartir même des autorités en charge de la culture, se plait àparler de « consommons local  » alors qu’on s’habille àl’occidentale.

Au vu de tout cela, on comprend que le sous-développement de l’Afrique est un problème psychologique profond. Les colonisateurs ont semé en nous la graine de la dépendance (intellectuelle, culturelle, politique, économique,…) que nous arrosons et entretenons sans cesse. A quand la rupture ? Je ne saurais le dire. Mais l’âge d’or n’est visiblement pas pour demain. »

La situation de la Sobétex et le discours de Jean-Baptiste Hounyovi interpellent les autorités en charge de la culture et de l’industrie. D’une part, la Sobétex a besoin d’un coup de main pour renaître de ses cendres. De l’autre, on ne saurait rester indifférent au tissu de l’artisan Hounyovi qui a reçu son brevet d’invention. L’Etat pourrait en tirer un énorme profit. Car, il n’y a pas de secteur ànégliger dans un pays qui veut se développer et qui caresse l’ambition de compter parmi les nations émergentes.

Colbert DOSSA

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